Jean-Jacques Servan-Schreiber, l’homme du « Defi americain »

Redige au c?ur des Trente Glorieuses, cet essai pedagogique a d’emblee degote son public.

En 2017, annee une prochaine election presidentielle (si rien ne se marche avant), Le Defi americain, le best-seller mondial de Jean-Jacques Servan-Schreiber, aura cinquante ans. Certes, le livre ne doit rien a Notre litterature maniere Mauriac ou Mitterrand, deux amoureux des mots : Cela reste truffe de chiffres, de statistiques, de tableaux, de notes, d’extraits de rapports d’« experts ». Ah, les experts ! Mais tout cela reste superbement mis en musique (avec l’aide, en particulier, de Francoise Giroud) par le polytechnicien « JJSS », patron de presse infatigable et capricieux reformateur, a qui sa mere avait devoile tout jeune, concernant 1 ton imperatif : « Tu seras President, mon gamin ».

Comme JJSS, narcissique meneur d’hommes, dote d’une intuition geniale et d’une vraie vision de l’avenir, refusait de ne s’adresser qu’aux cercles d’inities, son propos reste, au total, reellement limpide, bref, percutant. « En partant de l’examen, assez prosaique, de l’investissement americain en Europe, ecrit-il en 1967 dans une introduction qui est en 2014 d’une grosse actualite, on decouvre 1 univers economique qui s’affaisse, le notre, des structures politiques et mentales – les notres – qui cedent devant la poussee exterieure, nos premices d’une faillite historique – Notre notre… » Et l’auteur-prophete d’inviter des Europeens (Francais en tete) a sortir de leur petit confort et a prendre enfin conscience qu’une « guerre » nous reste livree – « mais gui?re a coups de dollars, de petrole, de tonnes d’acier, ni meme de machines d’aujourd’hui, mais a coups d’imagination creatrice et de talents d’organisation ».

Redige au c?ur des Trente Glorieuses, quatre apres l’assassinat a Dallas de John-Fitzgerald Kennedy (le modele de JJSS), juste avant l’ebranlement de Mai-68, votre essai pedagogique a d’emblee achete son public. Jean Bothorel, dans le excellent livre i  propos des Annees JJSS (Robert Laffont), decrit l’auteur du Defi americain en survetement blanc (une tenue qu’il aura i  chaque fois adoree), fetant en fevrier 1968 au milieu du tout-Paris le demi-million d’exemplaires du Defi vendus en quatre mois juste. Ce n’etait qu’un commencement.

Un succes qui tient d’abord a l’auteur. En 1967, l’agitateur d’idees JJSS – que J’ai vieille gauche marxisante desespere, qui tient le gaullisme pour archeo et qui reve d’une « troisieme force moderniste » – a reussi a 100 % une operation a laquelle bien minimum pourtant croyaient : la mutation radicale de L’Express, transforme, dans le modele americain, en newsmagazine et installe comme « le » lieu en modernite et des idees derangeantes. La reussite tient ensuite a J’ai demarche. Avec des methodes dignes du marketing le plus moderne, on ne s’adresse plus en circuit ferme aux heritiers, on vise nos classes moyennes en ascension dont JJSS n’est jamais loin, en ces annees-la, d’etre le heraut et qui se sentent mal-aimees, brimees, coincees.

Le succes du Defi, c’est enfin un message qui tranche avec l’ordinaire et dope ceux qui l’entendent. Le patron tellement americain de L’Express un devoile, ravi de ramer a contre-courant : on ne se barricade plus dans l’Hexagone, on regarde au-dela des frontieres ; on cesse de jeter votre ?il dans le retroviseur, le monde de demain – mondialise –, votre va i?tre l’ordinateur et l’informatique ; on apprecie la politique, passage oblige, mais on sait que c’est l’economie desormais qui commande ; on reste fier d’une France – de le passe, sa diversite, son histoire, des passions qui l’habitent – mais l’avenir de notre pays, sauf a i?tre 1 musee, passe par l’Europe. Et, de preference, une Europe federale, ou l’on partage pour de bon. Pour survivre et gagner ensemble.

Que, par la suite, l’impatient et tumultueux Jean-Jacques Servan-Schreiber n’ait pas su concretiser l’ensemble des espoirs de sa mere et ait gache, dans la traduction politique de ses remarques, beaucoup des atouts qu’il avait en mains, c’est un fera.

Ainsi le voit-on, elu en juin 1970 depute de Lorraine a l’issue d’une couteuse campagne « a la Kennedy », choisir des mois plus tard d’aller defier Chaban-Delmas a Bordeaux en promettant, en cas de succes, d’abandonner l’un de l’ensemble de ses deux mandats ! Mais a l’epoque du Defi, Il semble au summum de son influence : on l’ecoute, on le recopie, on le craint. Comme le resume Jean Bothorel : « Le https://datingmentor.org/fr/amor-en-linea-review/ Defi aura ete le premier etage de sa fusee porteuse. A partir d’une claire alternative : faire de l’Europe le foyer d’une civilisation autonome, ou la laisser i?tre une annexe des Etats-Unis. »

« L’hypothese historique qu’il nous va falloir prendre comme point de commencement pour la reflexion et Afin de l’action, ecrit JJSS, c’est la paix atomique. C’est-a-dire la guerre industrielle. » Et « Jean-Jacques » de se faire l’ardent avocat de l’innovation, de l’imagination, donc d’une recherche. Seule solution Afin de satisfaire au « decalage technologique croissant » entre des deux continents que separe l’Atlantique, ainsi, a l’offensive industrielle americaine que JJSS et ses « experts » seront, cette annee-la, des premiers, au registre liberal, a demasquer, en l’appelant avec le nom : surtout pas le repliement, mais une Europe, une pure, dotee « d’une certaine autonomie » de pouvoir via rapport aux Etats nationaux et de « ressources propres ».

Afin que le defi soit releve, i  nouveau faut-il, evoque l’auteur (nullement vexe qu’on le classe entre Roosevelt et Mendes France), que nos Francais de gauche, au moins autant que ceux de droite, se debarrassent de leurs vieux reflexes, de leurs pesanteurs, de leur nombrilisme, de leur atavique conservatisme. Fascine via nos Etats-Unis, Servan-Schreiber etait vraisemblablement, paradoxalement, le mieux place pour mettre en vais garder nos Europeens contre le cout (economique et culturel) d’un « debordement de puissance » des Americains. « Le progres reste une bataille comme l’existence est un defi », tranchait -il. Cela reste bon.

Notre Defi americain, de Jean-Jacques Servan-Schreiber, editions Denoel, 1967.